Entrepreneur Dubaï, le nouvel Eldorado des entrepreneurs français

Dubaï, le nouvel Eldorado des entrepreneurs français




Un décor de carte postale. Dans l’un des ports de plaisance de Dubaï, les bateaux de pêche traditionnels et les yachts de luxe voisinent avec les jet-skis de Nicolas Benrezkallah. Cet entrepreneur français loue ses petites embarcations à moteur aux touristes. Ce jour-là, c’est un groupe de jeunes adultes qui profite du lieu. Les selfies souvenirs sont de rigueur devant le « Burj al-Arab » – l’un des hôtels les plus fastueux au monde et emblème architectural de l’émirat. Des sensations fortes et du soleil : la recette entrepreneuriale de ce Marseillais de 36 ans est un succès.

Les promesses de l’Expo 2020

En coulisse, le jeune patron s’active à l’approche de la haute saison touristique. Elle ne fait que commencer dans l’émirat, où la chaleur bien trop accablante l’été. La veille, il était encore à Miami pour y acheter de nouveaux scooters des mers. Sur son téléphone, les messages de réservation s‘enchaînent. Le lancement de l’Expo 2020 qui ouvre ses portes ce vendredi 1er octobre est la promesse de nouveaux clients. Les organisateurs tablent sur 70 % de visiteurs en provenance de l’étranger pendant les six mois que durera l’Exposition universelle.



Nicolas Benrezkallah, créateur de l’entreprise de location de jet-skis Popeye Jet Ski. 

« C‘est un travail sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre », raconte Nicolas Benrezkallah, les traits tirés, avec un léger accent du Sud. Le jeune homme s’est installé dans le richissime émirat il y a huit ans. C’est après quelques jours de vacances passés chez un membre de sa famille résidant déjà à Dubaï qu’il a décidé de « liquider » son affaire de dépannage dans la cité phocéenne pour s’investir dans sa passion à l’étranger. « Il m’a fallu beaucoup d’acharnement pour en arriver là. Ici, tu dois te bouger le cul, sinon c’est impossible de gagner ta vie », raconte-t-il comme un pied de nez aux idées reçues sur le train de vie local.

Fiscalité quasi-nulle

Comme Nicolas Benrezkallah, de nombreux Français se sont lancés dans l’aventure entrepreneuriale à Dubaï. Même s’il est impossible de connaître avec précision leur nombre, environ 30.000 ressortissants de l’Hexagone résident aux Emirats arabes unis – une fédération composée de sept principautés. C’est la plus grande communauté originaire de France dans le Golfe. Dans ce pays, le climat des affaires est aussi l’un des plus favorables de la région.

La monarchie du Golfe est classée parmi les vingt premiers pays dans treize indices de compétitivité mondiaux liés à l’entrepreneuriat, selon la structure Business France. A Dubaï, la fiscalité est quasi-nulle, ce qui vaut à l’émirat la réputation « de paradis des paradis fiscaux » selon le juge Renaud Van Ruymbeke. Aucun impôt sur les sociétés n’est appliqué. La TVA, quant à elle, ne s’élève qu’à 5 %, hors zone franche. Les autorités locales encouragent aussi la création d’entreprise en adoptant de nombreuses directives visant à limiter les coûts. Le département économique de Dubaï a d’ailleurs délivré près de 6.000 nouvelles licences rien qu’au mois d’août, soit 54 % de plus que l’an dernier sur la même période.

Le tourisme au coeur de la diversification

Grâce à son moteur dubaïote, l’économie émirienne est donc aujourd’hui la plus diversifiée de la région. Contrairement à l’émirat voisin d’Abu Dhabi, Dubaï ne dispose pas de ressources pétrolières très abondantes. Par nécessité, les autorités de la cité-Etat ont donc investi très tôt pour se doter d’autres sources de revenus. Le tourisme est l’un des piliers de cette stratégie puisqu’il représente 16 % du PIB. En 2019, avant la pandémie mondiale de Covid-19, les Emirats, qui comptent 10 millions d’habitants, ont ainsi accueilli près de 17 millions de visiteurs internationaux, un chiffre en hausse de 5 % par rapport à l’année précédente.



Olivier Crespin, CEO et cofondateur de Zand, banque 100% digitale. 

En plus de s’être hissé au rang de destination touristique incontournable depuis une décennie, Dubaï est aussi l’une des plus grandes places financières au monde. « Ce secteur est très important pour la diversification économique du pays, explique Olivier Crespin, un Français qui s’est positionné dans ce domaine. Car il faut avoir des produits financiers structurés pour supporter l’économie locale ainsi que ses petites et moyennes entreprises. » Il y a trois ans, il a cofondé la première banque entièrement numérique aux Emirats. Celle-ci sera opérationnelle à compter de l’année prochaine, espère-t-il.

Agenda digital

Dans ses bureaux situés dans l’un des nombreux quartiers d‘affaires de Dubaï, l’entrepreneur de 55 ans peaufine les derniers détails avant le lancement. « C’était très difficile d’obtenir la licence bancaire car il y a déjà 52 banques dans le pays », raconte-t-il. Pour créer son établissement, il a néanmoins pu bénéficier de plusieurs soutiens de poids dont celui de Mohamed Alabbar. Cette figure emblématique de l’écosystème entrepreneurial émirien est le fondateur du groupe Emaar, un important promoteur immobilier dont le nom s’affiche partout à Dubaï. « Les Emirats ont aussi un agenda digital. Les entreprises locales misent de plus en plus sur leur offre numérique, ils se rendent donc compte qu’il faut une ‘digital native bank’ [banque née digitale, NDLR] pour parler avec elles et comprendre leurs besoins », poursuit l’entrepreneur breton en ponctuant ses phrases d’anglicismes.

Au carrefour du monde

Avant son arrivée dans l’émirat, Olivier Crespin a travaillé à Singapour comme salarié de l’une des principales banques asiatiques. C’est là-bas qu’il a fait ses gammes dans le numérique. Il y a créé un établissement en ligne qui a ensuite été sacrée meilleure banque digitale au monde par Euromoney. Sa réussite a fait parler de lui. « Ce qui m’a le plus intéressé en venant ici, c’est d’avoir carte blanche et de partir de zéro », explique-t-il. Selon lui, l’émirat du Golfe n’a d’ailleurs rien à envier aux autres grandes places financières mondiales. Dans beaucoup de domaines, « Dubaï s’est inspiré de Singapour et rattrape son retard à grands pas », conclut-il.

La place financière dubaïote a d’ailleurs quelques avantages sur sa rivale. « C’est l’emplacement parfait pour faire du business », assure l’homme d’affaires. Pour étayer son propos, Olivier Crespin prend l’exemple du fuseau horaire. A Dubaï, il n’y a en effet que deux ou trois heures de décalage avec l’Europe. Son aéroport international est par ailleurs l’un des principaux au monde et dessert plus de 230 destinations dans une centaine de pays. Une fois que sa banque sera officiellement lancée, le natif de Saint-Brieuc espère développer son activité à l’international. D’abord dans la région, puis sur d’autres continents.

140 sièges régionaux de multinationales

Cette position géographique de l’émirat a aussi d’autres atouts. « On a de très gros talents, ce n’est pas difficile de les attirer », poursuit Olivier Crespin. Pour sa start-up, il a même recruté l’ancien responsable du développement des affaires et des partenariats de Google au Moyen-Orient. « Un type brillant », confie le Français. Dubaï héberge environ 140 sièges régionaux d’entreprises multinationales, ce qui favorise aussi le cosmopolitisme. Aux Emirats arabes unis, plus de 80 % de la population est étrangère. Sur un total de 10 millions d’habitants, les nationaux ne pèsent que 1 ou 2 millions tout au plus. Les plus grandes communautés représentées sont originaires d’Asie. En majorité d’Inde, du Pakistan ou encore du Bangladesh.



Nawal Benzaouia, créatrice de Massiraa, entreprise de conseil en accessibilité pour les personnes handicapées.

Dans un café du centre de Dubaï, Nawal Benzaouia s’amuse à lister le nombre de nationalités représentées dans son entreprise. L’entrepreneuse française prend quelques instants pour faire le décompte. « Huit nationalités… Et on est huit à Dubaï », ironise-t-elle. « C’est une richesse incroyable car cela permet d’échanger les points de vue avec une perspective différente », revendique la jeune Alsacienne de 26 ans.

Echapper aux discriminations

Nawal Benzaouia est arrivée à Dubaï en septembre 2019. Après avoir créé une première entreprise à Paris, elle a voulu découvrir un autre pays. En s’installant dans le Golfe, elle a d’abord été consultante pour une start-up puis a décidé de lancer une nouvelle société. Celle-ci est spécialisée dans l’accessibilité. Elle fournit des conseils pour faciliter « l’accès, l’utilisation et la circulation » dans les bâtiments aux personnes handicapées physiques, mentales et sensorielles. Depuis peu, elle travaille même avec les organisateurs de l’Expo 2020. Sur le gigantesque site de cet événement international, un espace dédié aux personnes souffrant de troubles sensoriels a été construit. L’entrepreneuse dispensera notamment des formations pour accompagner le personnel qui travaille dans ce lieu.

« Tout va plus vite, on te donne beaucoup plus d’opportunités et on ne regarde pas forcément ton nom de famille », raconte Nawal Benzaouia, pointant du doigt les discriminations à l’emploi qu’elle a pu subir en France. La jeune femme parle par ailleurs l’arabe, un avantage considérable, selon elle, avec certains clients. Même si l’anglais reste la langue reine des affaires dans cet ancien protectorat britannique. « J’ai l’impression que tout ce que je fais ici en deux mois prendrait dix ans en France », ajoute-t-elle. L’Alsacienne se voit donc désormais poursuivre sa carrière professionnelle à Dubaï « pour un bon moment ».



Julie Leblan, créatrice du site de cadeaux en ligne MyList et de la plate-forme de motivation et stratégies d’engagement Merit Incentives. 

L’entrepreneuse Julie Leblan, elle, y vit depuis bien plus longtemps. Elle s’y est installée en 2010 avec sa famille. L’ancienne avocate en finance, alors mère d’un enfant, recherchait « un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie personnelle ». La vie parisienne qu’elle résume au « métro, boulot, dodo » ne lui convenait plus. « Je ne voulais plus passer mon temps à justifier d’avoir une carrière et aussi d’être une mère », déclare-t-elle.

«Il n’y a pas de limite»

Cette Nantaise de 41 ans est aujourd’hui la fondatrice de deux entreprises à Dubaï. La première est un site de cadeaux en ligne. La seconde est une plate-forme digitale de motivation et de stratégies d’engagement. Elle travaille avec les plus grands groupes dans une centaine de pays. C’est cette ambition qui lui plaît précisément. « Il n’y a pas de limite, c’est toujours plus. On a l’impression d’avoir tout vu et le lendemain un projet encore plus dingue est annoncé », témoigne la femme d’affaires depuis son bureau perché au 27e étage d’un gratte-ciel.

« La vie est vraiment confortable ici pour les femmes entrepreneuses », ajoute-t-elle en mentionnant l’importance culturelle de la famille aux Emirats. « Parfois, j’emmène mes enfants lors de mes réunions professionnelles. J’ai même interrompu un rendez-vous pour allaiter ma fille et cela ne pose aucun problème, raconte Julie Leblan. En France, cela n’aurait pas été possible. » Aux Emirats arabes unis, le taux d’emploi des femmes émiriennes est l’un des plus élevés de la région. Même si, dans ce domaine, le secteur public est prédominant sur celui du privé.

Une aventure risquée

Julie, Nawal, Nicolas et Olivier sont tous des entrepreneurs aguerris aux Emirats. En 2019, Julie Leblan a été lauréate d’un trophée pour les entrepreneurs français d’Afrique et du Moyen-Orient. Nawal Benzaouia, elle, devrait recevoir l’année prochaine une distinction mondiale pour ses engagements dans le secteur médical. L’entreprise de Nicolas Benrezkallah est numéro 1 sur un célèbre site Internet d’avis et de conseils touristiques. Enfin, Olivier Crespin a été élu personnalité digitale de l’année au Moyen-Orient. Ces quatre entrepreneurs français reflètent aussi « le privilège occidental », pour reprendre le titre du livre de la sociologue Amélie Le Renard (éd. Les Presses de Sciences po). Cette chercheuse a étudié la vie professionnelle et quotidienne des Français travaillant à Dubaï où avoir un passeport européen est un avantage.

Il n’empêche. L’aventure entrepreneuriale dans la cité-Etat comporte néanmoins des zones d’incertitude. Pour financer sa société de location de jet-skis, Nicolas Benrezkallah explique ne pas avoir eu accès au crédit. « J’ai dû tout financer en fonds propres et cela représente un risque financier, certes. Mais il est nécessaire pour avancer », argumente l’entrepreneur. La pandémie de Covid-19 a aussi eu des conséquences sur son activité touristique. Au printemps 2020, un confinement très strict a été décidé par les autorités émiriennes. Son entreprise a donc dû fermer ses portes durant quelques semaines. « On a fait le choix de garder tous nos employés, mais il faut avoir les reins solides », confie le Marseillais.

Des visas sous conditions

Selon une étude de S & P Global Ratings, l’émirat est d’ailleurs celui qui a le plus souffert des conséquences de ce ralentissement économique. En 2020, la population de Dubaï a décliné de 8,4 %. La plus forte baisse dans les pays du Golfe. Aux Emirats arabes unis, l’emploi est bien souvent la condition pour obtenir un visa de résidence. Or, de nombreux résidents étrangers – toutes nationalités confondues – ont été licenciés au cours de cette période et donc contraints au départ vers leur pays d’origine. Dubaï a toutefois été l’un des premiers endroits au monde à rouvrir ses frontières. Dès l’été 2020, l’émirat a de nouveau accueilli les touristes et a aussi multiplié les plans de relance économique pour attirer les investisseurs.

Selon le banquier Olivier Crespin, ce facteur constitue d’ailleurs l’un des seuls points de divergence avec son ancien lieu de résidence. « A Singapour, tu as la possibilité d’être résident permanent avec un visa à long terme sans limite », regrette-t-il. Mais la situation pourrait changer. « Ils sont en train de créer un peu plus de loyauté avec les gens du pays », poursuit le Breton. Depuis la pandémie, les autorités dubaïotes ont lancé de nouveaux visas de longue durée, notamment pour les riches retraités, les télétravailleurs et bien sûr les entrepreneurs. Julie Leblan est l’une des rares Françaises à en bénéficier. Elle a récemment obtenu un « golden visa », un visa de dix ans – le plus long aux Emirats – délivré sous conditions strictes. Nawal Benzaouia a quant à elle acheté un bien immobilier, ce qui devrait aussi lui garantir un visa plus long. « Si cette aventure était à refaire, je le referais sans hésiter », assure la jeune entrepreneuse.

L’exposition universelle, mode d’emploi

– Ce vendredi 1er octobre, l’Exposition universelle ouvre ses portes aux visiteurs internationaux jusqu’au 31 mars 2022.- Censée se tenir l’année dernière, elle avait été reportée sur fond de pandémie. Les organisateurs ont décidé de conserver le nom d’Expo 2020.- C’est « le plus grand événement jamais organisé dans le monde arabe » clament les organisateurs, qui souhaitent rivaliser avec les plus grandes Expositions universelles de l’histoire, comme celle de Montréal en 1967 ou d’Osaka en 1970. Une manière pour l’émirat d’asseoir un peu plus sa réputation de « hub » économique dans la région.- Le budget d’investissement est de 5,5 milliards d‘euros.- Les organisateurs espèrent 25 millions de visites en six mois.- Plus de 200 pavillons seront présentés au public. 192 pays ont chacun leur pavillon.- Tous seront réunis sur un site de 438 hectares – soit l’équivalent de 613 terrains de football – situé dans la zone industrielle de Jebel Ali, au sud-ouest de Dubaï, la plus grande ville des Emirats arabes unis.

Le Pavillon français sur le thème « Lumière, Lumières »

« Promouvoir les talents français qui oeuvrent dans le domaine du développement durable ; développer l’attractivité du pays ; et participer à la relance économique en aidant les entreprises à conquérir de nouveaux marchés » sont les objectifs du Pavillon français, une structure de 55 m de large, 20 de hauteur et 63 de profondeur. Ses 2.700 m² de façades et toitures sont recouverts de panneaux photovoltaïques. L’édifice a du reste été construit sur le thème « Lumière, Lumières ». Ses ambassadeurs sont la cheffe pâtissière Jessica Préalpato et l’astronaute Thomas Pesquet.

 

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